Quels leviers pour une vitalité culturelle des territoires ruraux et péri-urbains ?
CONSTATS
Nous constatons aujourd’hui une polarisation de l’offre culturelle autour des métropoles et des grands centres urbains où se joue la course effrénée aux grands pôles culturels, dits » structurants », incarnant la concentration des pouvoirs. Ces projets démesurés se sont multipliés, sous couvert de renforcer la supposée attractivité du territoire tout en bafouant l’équité des territoires. Ces usages interrogent l’existence même d’un vrai projet d’aménagement culturel des agglomérations, des métropoles, des départements, des régions. Ils interrogent également l’existence d’une réelle concertation, d’une réflexion partagée par les différents échelons des collectivités sur des schémas d’aménagement culturel et des complémentarités d’intervention, permettant de ne pas laisser pour compte les zones rurales ou périurbaines[1].
La compétence culturelle, en qualité de compétence partagée, nécessite donc des articulations et des conjugaisons entre l’État et les collectivités territoriales. C’est ce que préconise l’article 103 de la loi NOTR(e) qui prévoit que « la responsabilité en matière culturelle est exercée conjointement par les collectivités territoriales et l’État ».
Il apparaît, par ailleurs, que l’ingénierie culturelle gagnerait à être partagée par les acteurs et les publics, les politiques culturelles ont besoin d’un éclairage citoyen d’une implication de l’ensemble du paysage institutionnel, de tout l’écosystème, des usagers et des citoyens non usagers. L’État et les collectivités territoriales doivent agir en concertation avec les acteurs de la création artistique, comme le préconise la iloi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine, dans son article 3, afin de construire une véritable politique de service public, destinée au plus grand nombre, diversifiée, en tout lieu et en toute circonstance.
…………………………………….
PROPOSITIONS
Apportons plus de proximité, plus d’éthique, plus de justice sociale et réunissons les forces, les compétences et les budgets de tous les échelons publics pour une politique culturelle efficiente sur les territoires, capable d’accompagner les émergents, de soutenir l’innovation culturelle et de proposer à tous les « citoyen·nes habitant·es » une offre culturelle susceptible à la fois de s’adapter à la mixité des publics et d’élargir le champs culturel « Les « hauts-lieux » savent user d’une monumentalité qui écrase et construisent des murs symboliques infranchissables sur lesquels se fracassent les lancinants et terribles «c’est pas pour moi»… Il nous faut renouer le dialogue entre le «culturel» et le «socio-culturel», entre les grandes salles et l’éducation populaire »[2]
Les principales victimes de ces politiques centralisatrices sont évidemment les habitant·es des territoires ruraux et périurbains en peine pour s’impliquer dans des politiques culturelles qui semblent les avoir oublié·es.
La réalité des politiques culturelles dans les territoires est donc bien étrangère aux préconisations des textes de loi et aux aspirations naturelles des publics éloignés, qui peuvent être tentés par des grands produits culturels marchands qui promettent une appartenance sociale facile et rapide, un secteur marchand qui garantit un sentiment d’appartenance à une vaste communauté dont les membres partagent les mêmes codes et donc un socle commun que nos politiques culturelles ont échoué à construire.
Mais le vrai drame de ces usages de concentration de l’offre autour des grands pôles urbains c’est qu’ils occultent la richesse des territoires ruraux et périurbains, leur diversité culturelle, leur patrimoine/matrimoine, leur vitalité socio-culturelle, souvent portés par des structures associatives, qui auraient besoin de soutien et de relais publics
Se satisfaire de ces constats, c’est oublier le rôle fondamental de l’Education Artistique et Culturelle pour former les spectateurs, oublier la proximité de l’art et la culture avec l’éveil à la citoyenneté[3] avec la formation à l’orientation, avec les multiples plus-value sociales et éducatives du secteur de l’art et de la culture.
Comment faire confiance aux territoires et réussir la “décentralisation” ?
- Pour une organisation concertée de la culture dans les territoires
Création dans chaque région d’une Conférence Territoriale d’Action Publique dédiée à la culture et aux culture(s). Ces CTAPC, sur le modèle de ce qui existe en région Bretagne[4], auraient comme mission principale :
- D’être un espace de concertation entre l’Etat et les collectivités locales pour l’aménagement territorial des équipements culturels et pour la concertation sur les grandes orientations et la cohérence des actions culturelles sur un territoire.
- De repenser les politiques publiques de la Culture notamment sous l’angle des droits culturels : évaluation des politiques culturelles au regard de la mixité des bénéficiaires à l’aune des critères sociaux, territoriaux, genrés, d’origine, de handicap). Pour éclairer ces évaluations la CTAP doit s’autoriser à financer des études (statistiques, inventaires, cartographies) destinées à préciser le diagnostic des activités professionnelles et des services rendus aux usagers en fonction des équilibres territoriaux
- De favoriser la mutualisation (ingénierie, techniques, ressources) pour renforcer l’efficacité des projets.
- Les territoires et leurs spécificités
Les projets en milieu rural nécessitent souvent des coûts importants (trajets, logistique…). Afin d’encourager les projets à aller dans ces territoires, la création d’un « bonus ruralité » viendrait encourager ces initiatives.
Un Plan national de résidence d’artistes en milieu rural, inscrit dans une remise à plat des mécanismes de financement et d’organisation de l’Éducation Artistique et Culturelle serait une formidable opportunité pour couvrir tout le territoire d’une présence artistique régulière et structurante, y compris dans les établissements scolaires. Le financement de ces résidences doit se penser aussi à l’échelle des communautés de communes ou des Pays, dans le cadre d’un véritable contrat de résidence entre les collectivités locales et l’Etat (Ministères de la Culture, Éducation nationale, Jeunesse). Ce dispositif doit s’inspirer des CLEA (Contrats Locaux d’Education Artistique), mais en veillant à donner une place centrale à la création. La création et l’EAC étant les deux faces d’une même pièce. Il faudra faire le choix du temps long d’une résidence pour construire une relation étroite avec un projet artistique, un territoire et un public.
Pour cela, il faudra s’appuyer sur ce qui existe déjà, c’est à dire les festivals, les structures d’éducation populaire, les lieux et tiers-lieux comme autant de points de repères sur le territoire.
Pour palier au manque de lieux équipés, un Plan chapiteau viendra favoriser l’itinérance et la permanence artistique[5].
L’enseignement artistique étant la première porte d’entrée vers la fréquentation des œuvres, sa place doit être reposée dans un juste équilibre en regard de l’offre des villes. Un plan choral ambitieux pourrait venir revitaliser un secteur vieillissant et qui est pourtant un lieu de pratique sociale important.
La culture en milieu rural est portée en grande partie par les habitants eux-mêmes. Cela nécessite une politique ambitieuse en direction des associations et du bénévolat : condition sine qua none pour revitaliser l’engagement citoyen qui porte cette culture en milieu rural, il en va de l’avenir de la culture dans ces territoires.
La culture dans ces territoires doit assumer son autonomie culturelle et ne pas chercher à tout prix à copier l’offre de la ville. Une mise en œuvre ciblée des droits culturels dans ces territoires serait une outil pour vivifier leurs pratiques culturelles[6].
Penser la culture des territoires en les envisageant « autonome » ne doit pas exclure une circulation régulière des œuvres et des artistes en posant la question de la responsabilité des structures culturelles des villes à l’égard des territoires dans le cadre d’un nouveau pacte ville / ruralité.
Le formidable élan des jumelages de l’après-guerre, plutôt pensé pour les villes, pourrait être revivifié par jumelages de territoires ruraux à l’échelle européenne.
La richesse des cultures en milieu rural doit être le lieu d’une permanente interrogation sur le sens d’un projet de société où l’écologie serait le centre. L’art doit porter ces interrogations et ces préoccupations. La valorisation des spécificités des territoires, des patrimoines/matrimoines et des initiatives locales dans leur diversité pourrait se manifester en faisant du 21 mai, la Journée mondiale de la diversité culturelle pour le dialogue et le développement. Une occasion de promouvoir les cultures et de mettre en évidence l’importance de sa diversité, comme un vecteur d’inclusion et de mutations constructives. Cette journée est une opportunité pour célébrer les multiples formes de la culture, matérielles et immatérielles, des industries créatives à la diversité des expressions culturelles, et de réfléchir sur la façon dont celles-ci contribuent au dialogue, à la compréhension mutuelle, et aux vecteurs sociaux, environnementaux et économiques de développement durable. »[7]
Le plan de relance pour la Culture qui se précise actuellement dans les Directions régionales des affaires culturelles (Drac), pose la question de la culture dans les territoires et plus précisément au sein la ruralité : c’est nouveau et il faut le souligner. Cette problématique semble vraiment prise au sérieux, mais les Drac sont confrontées à leur propre modèle : ils ne savent bien souvent pas comment s’y prendre pour construire des projets dans les territoires, en dehors des mécanismes habituels (lieux labellisés, structures subventionnés parfaitement en phase avec les lignes de financement). Une refonte totale des Drac apparaît comme inéluctable tant la crise sanitaire a fait évoluer les modèles de financement et les périmètres de ces instances. Leur rôle auprès des artistes, des territoires et des collectivités doit être profondément repensé.
[1] Cette note pose la question d’un rééquilibrage pour la culture en milieu rural. Il ne s’agit pas de s’opposer aux équipements des villes, mais de poser la question des moyens permettant ce rééquilibrage ainsi qu’une féconde collaboration avec la ville à la campagne.
[2] Tribune Mediapart : Appel à une refondation des politiques culturelles : faisons de la Bretagne un territoire d’expérimentation !
[3] Voir : https://www.culture.gouv.fr/Actualites/L-art-et-la-culture-facteurs-de-citoyennete
[4] La CTAP Culture(s) en Bretagne, autrement appelée 3CB, https://www.banquedesterritoires.fr/les-conferences-territoriales-de-laction-publique-peinent-demarre
[5] Les chapiteaux ont plusieurs avantages: ils sont mobiles. Ils ont un coût écologique limité car ils ont une empreinte de fabrication très faible, une emprise au sol nulle (le terrain peut être utilisé à d’autres usages en dehors de l’occupation par le chapiteau) et lorsqu’ils sont mis en œuvre, les fluides (chauffage…) ne sont utilisés que lorsqu’ils sont occupés (à l’inverse d’un bâtiment en dur). Ils sont également multimodaux et permettent donc d’accueillir aisément diverses activités le temps de leur implantation : on peut imaginer une période de résidence avec une équipe artistique, suivi de représentation, puis un stage de 15 jours d’une école de cirque, de danse ou de théâtre, de mettre en place dans les coursives des installations plastiques, etc. Le chapiteau a également l’avantage d’être accessible aisément, tant pour les personnes à mobilité réduite que parce que dans l’imaginaire collectif la bâche du chapiteau n’intimide pas autant que des lieux institutionnels de spectacle. Voir la proposition du Syndicat des Cirques et des Compagnies de Création.
[6] Voir le travail mené par l’Agence cuturel de Dordogne et le rapport du CESER
[7] https://fr.unesco.org/commemorations/culturaldiversityday/2019