Médias et industries culturelles
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Des solutions durables pour la diversité de l’audiovisuel, du livre et du cinéma

Constat et vision

Le secteur des médias traditionnels se caractérise aujourd’hui par la concentration de ses acteurs. Un petit groupe d’entreprises contrôle l’essentiel des moyens nationaux privés de production de l’information écrite, télévisuelle et radiophonique et leur extension sur Internet.[1] Les raisons de ces concentrations tiennent d’une part aux bouleversements dans les modèles économiques des médias, conséquence du développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication; et de l’autre, à l’intérêt des grands propriétaires des médias en termes d’influence politique. 

Pour le livre, ce sont de véritables conglomérats qui détiennent des positions dominantes dans les secteurs de l’édition, de la diffusion et distribution.

Avec l’avènement des plateformes SVOD, le même mouvement de concentration verticale s’amorce dans le cinéma. Netflix, Amazon et Disney + sont à l’affût de “contenus” pour étoffer leur catalogue d’offres. En France, leur déploiement remet également en cause la création cinématographique et la chronologie des médias.

Cette concentration engendre des problèmes de diversité d’expression culturelle et artistique, mais aussi de démocratie lorsque les moyens d’information de masse sont mis au service d’intérêts particuliers.

Propositions :
Audiovisuel – radio et télévision

La réduction de moyens imposée aux sociétés d’audiovisuel public fragilise considérablement toute ambition d’un service public fort et manque de vision à long terme. EELV est favorable au maintien du financement de l’audiovisuel public via la perception de la redevance (3,7Md€). EELV défend un service public à la fois audiovisuel et pour l’espace numérique, garantissant une information libre, autonome, fiable et vérifiée, la création de programmes originaux et une diffusion culturelle diversifiée.

Les coûts de production et de diffusion ayant considérablement diminué avec le numérique, les médias audiovisuels locaux peuvent devenir un formidable outil pour donner la parole aux habitant·es. L’Etat doit aider au développement de télévisions associatives et de lien social en créant un fonds de soutien dédié financé par le déplafonnement de la taxe sur la publicité audiovisuelle. Dans le cadre d’un rééquilibrage du paysage audiovisuel français, leur donner la priorité dans toute nouvelle attribution de fréquence. 

De même, le fonds de soutien à l’expression radiophonique locale (FSER, 30M€)[2], doit être très fortement augmenté. Touché par la suppression des aides à l’emploi, la refonte des accords de branche et de la formation professionnelle, ce secteur a aussi pâti d’une réduction des financements des collectivités territoriales. Un soutien renforcé est nécessaire pour accompagner la transition vers la radio numérique terrestre (RNT) ou les radios qui assurent une double diffusion numérique et analogique (FM). Des choix technologiques en adéquation avec les territoires doivent également être faits pour permettre d’offrir aux auditeurs des zones rurales, de montagne, périurbaines, ultramarines un choix de radios en qualité numérique (DAB+, DRM+).[3]

Les médias audiovisuels associatifs doivent également être soutenus dans leur rôle d’école avec des plans de développement des compétences qui débouchent sur une reconnaissance des parcours professionnels et des qualifications.

Une part de démocratie participative doit être introduite dans les instances de l’audiovisuel permettant aux associations de téléspectateur·trices d’être représenté·es dans un collège dédié. La protection des acteurs volontaires ou involontaires de la société médiatique face aux abus de la télévision (droit de réponse ou le contrôle de l’exploitation de son image) doit être facilitée.

Enfin, il est nécessaire de mettre en place une véritable éducation aux médias dans les écoles et le milieu socioculturel. Apprendre la grammaire de l’audiovisuel doit faire partie des savoirs fondamentaux enseignés à l’école pour lutter contre les désordres informationnels : fake news, infobésité…  La formation de citoyen·nes libres et égaux passe par leur capacité à décrypter les médias. La capacité à réaliser ses propres sons et images est un outil pour sortir de la passivité numérique vécue même par la génération des “digital natives”.

Edition et livre

Le secteur de l’édition bénéficie d’un statut particulier en France. En 1981, face à la menace qui pesait sur la pérennité des libraires, une loi emblématique, dite « Lang », a permis de maintenir durablement l’exception culturelle du livre papier. Le classement récent des librairies en commerces essentiels montre que cet attachement spécifique perdure. Cependant, 40 ans plus tard, de nouveaux enjeux économiques et environnementaux sont apparus, nécessitant une intervention forte du législateur.

De véritables conglomérats détiennent des positions dominantes dans les secteurs de l’édition et de la diffusion/distribution, abusant bien souvent de ces positions vis-à-vis des autres acteurs de la filière et faisant peser des risques sur la diversité éditoriale. Une économie de l’offre s’est également installée, entraînant une évidente surproduction de livres avec son lot de corollaires : multiplication des mises en place des nouveautés, durée d’exposition des titres toujours plus courte, marketing omnipotent des grosses structures. Cette situation entraîne des ventes moyennes des titres trop faibles pour permettre à la majorité des auteur·trices de vivre dignement. Elle augmente aussi l’empreinte carbone du secteur notamment avec le développement des flux de transport et des retours de livres invendus dans de très fortes proportions, et finalement la mise au pilon de millions de livres chaque année.

Pour impulser un fonctionnement éco-responsable, plusieurs pistes sont à explorer comme la mise en place d’une écotaxe sur tous les livres imprimés et sur la mise au pilon, la limitation de possibilités de retours, ainsi que le développement de l’impression à la demande. En parallèle, une véritable économie circulaire du livre intégrant les libraires d’occasion doit être développée. 

Enfin, pour garantir la diversité éditoriale, l’activité de diffusion doit être réformée, les activités d’édition et de distribution séparées. Pour redonner aux libraires toute leur indépendance face aux distributeurs et un vrai rôle de prescripteurs, les remises quantitatives doivent être encadrées et des dispositifs de soutien mis en place pour l’édition indépendante. 

Cinéma

Le cinéma a une place privilégiée en France et son industrie est la 3e au monde[4]. Avec un réseau de 2000 salles (6000 écrans) dont 60% de salles de proximité indépendantes et une politique volontariste des collectivités territoriales, 40 millions de français·es vont au cinéma. C’est une activité culturelle populaire et fédératrice. Cette exception culturelle française est liée à la chronologie des médias, un dispositif qui organise la diffusion des films après leur sortie. La première période de diffusion en salle est essentielle, puisqu’une part du prix du billet est reversée aux compositeur·trices via la Sacem et au CNC[5] pour permettre l’émergence de nouveaux projets. Par ailleurs, les chaînes de télévision ont également obligation de consacrer une partie de leur chiffre d’affaires à la création. Cette participation s’élève aujourd’hui à 273M€, dont 102M€ dans le cinéma français et européen financés par Canal+ en contrepartie d’un délai de 8 mois pour l’exploitation des films. 

La pandémie a accéléré les abonnements sur les plateformes SVOD. En novembre 2020, 49,6 % des foyers sont abonnés à Netflix, 24 % à Amazon Prime et 18,6 % à Disney+. Proposant des projets auto-produits en exclusivité avec des réalisateur·trices dont la notoriété a été créée par un travail de fond dans les salles de cinéma, ces plateformes viennent perturber la chronologie des médias et ne sont pas (encore) soumises à l’obligation de financer la création. 

Ce n’est pas la première fois que le cinéma est remis en cause par l’arrivée de nouveaux modes de diffusion. Cependant, dans le contexte d’une crise sans précédent, cette mutation nécessite une réponse forte du législateur pour accompagner l’intégration des plateformes SVOD dans l’écosystème français. Le décret d’application de la directive européenne Service de médias audiovisuels (SMA) prévoit une obligation d’investissement de 20 à 25 % de leur chiffre d’affaires dans la production hexagonale. EELV souhaite garantir qu’il soutienne véritablement des productions indépendantes et ne soit pas récupéré par les filiales de ces mêmes plateformes. Les planchers d’investissement dans le cinéma doivent être équivalents à ceux applicables aux chaînes comme Canal+ aujourd’hui.[6] De même, le rachat de sociétés de production par les plateformes SVOD doit être fortement contrôlé, comme c’est le cas actuellement pour les chaînes de télévision. Une situation d’oligopole est un risque pour la diversité culturelle et artistique. 

Outre le système de financement, les plateformes mettent à mal le système de création de valeur dans le cinéma[7]. Sans information transparente sur l’audimat, les nouveautés disparaissent dans un vaste catalogue empêchant les phénomènes d’émergence de cinéastes ou d’esthétiques. Un film, un documentaire ou une série acquiert certes sur les plateformes la possibilité d’intéresser un public international élargi, mais dans la surabondance de l’offre les choix sont souvent dictés par les algorithmes de recommandation. Il est donc indispensable de maintenir la vitalité des salles de cinéma, notamment des salles de proximité ou classées “Art et essai”. Par l’accueil de scolaires, l’organisation de ciné-débats et d’activités de médiation, elles sont plus à même de faire vivre cette diversité.[8]Enfin, il faudra prendre en compte l’impact en décalé de la crise sanitaire sur le secteur qui risque de compromettre ses moyens de financement publics et privés. Il y a désormais 450 films en attente de sortie. On estime qu’un tiers d’entre eux ne sortiront jamais en salle. Du fait de ce goulot d’étranglement, il n’y aura plus de tournages cinéma en 2022 et en 2023. Les sociétés de distribution, souvent le premier investisseur dans la vie d’un film, risquent la faillite. EELV propose un soutien exceptionnel de ce réseau de diffusion.


[1] Par exemple, pour la presse régionale, nous sommes passés de 150 titres en 1945 à une soixantaine à peine aujourd’hui. Ils sont contrôlés par une dizaine de groupes qui sont souvent en situation de monopole dans un département ou une région. 

[2] Les subventions du FSER sont attribuées par le ministre chargé de la communication aux radios locales associatives accomplissant une mission de communication sociale de proximité, dont les ressources publicitaires sont inférieures à 20 % de leur chiffre d’affaires total.

[3] Voir le livre blanc de la confédération des radio associatives : http://cnra.eu/wp-content/uploads/2019/12/Livre-Blanc-des-radios-associatives-version-d%C3%A9finitive.pdf

[4] Le parc de salles le plus important et le plus dense d’Europe, 1er marché européen en termes d’entrées. Une part de marché de films français entre 35 et 40% remarquable quand les films américains dominent les autres marchés.

[5] CNC – centre national du cinéma et de l’image animée soutient les projets de cinéma, séries, TV, jeux vidéo, création numérique. La taxe spéciale additionnelle (TSA) créée après guerre est prélevée sur chaque billet de cinéma (10,72%). Les recettes de tous les films sont reversées au CNC et donc redistribuées aux artistes et entreprises françaises.

[6] Le plancher d’investissement dans le cinéma prévu par le décret actuel est de 20% sur les 20% (donc uniquement 7% du CA) ou bien de 30% sur les 25%. Pour Netflix, cela représenterait donc 18M€ de soutien à la création cinéma indépendante contre 102M€ pour Canal+ ! 

[7] “ Martin Scorsese dévolu au rang de contenu” : https://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/Martin-Scorsese-Le-cinema-est-devalue-au-rang-de-contenu

[8] Grâce au dispositif “école au cinéma” 20% des élèves bénéficient d’un tarif à 2,5€. Pour les élèves option cinéma, les billets sont pris en charge par le CNC, mais le coût des transports reste un frein.