Création artistique
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Repenser les places et les rôles de la création artistique !

L’année 2020 a profondément bouleversé ce qui fonde la création artistique, ce qui la nourrit (le désir, les échanges, la reconnaissance) et les liens qu’elle entretient avec celles et ceux qui lui apportent sa légitimité (les publics, les habitant·es, la société). La crise sanitaire a entravé un régime de production et de diffusion de la création artistique qui, déjà, traversait une lente période de remise en question : manque de moyens alloués à la création, difficulté de diffusion, renouvellement limité des publics. 

Plus que jamais deux questions se posent aujourd’hui : quels rôles joue la création artistique dans la société ? Quelles places occupent celles et ceux qui la fabriquent ? 

Pour que la création artistique puisse pleinement investir son rôle, il est primordial de s’assurer que les professionnel·les qui la réalisent puissent en vivre et que nous nous penchions sur les problématiques que pose la juste rémunération.

Enfin, il est nécessaire d’approfondir les articulations entre l’Etat et les collectivités territoriales pour mieux soutenir la création artistique.

A. Quelles rémunérations pour la création artistique ?

#Mots clés : Rémunération juste, artiste auteur, rapport Racine, contrat de commande, intermittence du spectacle, streaming, revenu universel, limitation des écarts de revenu

La rémunération de la création artistique est aujourd’hui dans l’angle mort des politiques culturelles. Des éléments structurels (juridiques) et conjoncturels (évolution des pratiques) fragilisent un tissu historiquement fécond.

Le secteur culturel est à cheval entre différents modes de rémunération : les artistes auteurs (AA) dont les droits sont encadrés par le code de propriété intellectuelle (CPI), les artistes interprètes (AI) dont les activités sont régies par le droit du travail et qui, du fait de la discontinuité de leur emploi, peuvent bénéficier du régime de l’intermittence, mais aussi des salariés “classiques”, des saisonniers et des indépendants. Confronté aux évolutions récentes des pratiques et des usages, le cadre juridique du secteur culturel devient aujourd’hui, à bien des égards, de plus en plus problématique : 

Occultés par la filière des puissants acteurs des industries culturelles, non respectés ex-nihilo dans leurs droits, les artistes-auteurs sont plongés dans une précarité économique toujours plus grandissante. Par ailleurs, le régime de l’intermittence – qui est un pilier de la production culturelle et artistique et doit être à ce titre particulièrement défendu – ne permet pas de prendre en compte les périodes de recherche ou de médiation artistique. Ce cadre juridique se révèle également inadapté pour accompagner la mutation des pratiques de création et leur hybridation en termes disciplinaires, comme les arts plastiques et le spectacle vivant.

Le cadre législatif doit donc évoluer pour permettre aux équipes artistiques, qu’elles soient constituées d’auteurs·rices, de concepteurs·rices ou d’interprètes, de mieux vivre du travail réalisé au moment des périodes de recherche-développement, de médiation auprès des différents publics ou de production.

Le rapport “L’auteur et l’acte de création”, coordonné par Bruno Racine début 2020 pour le ministère de la Culture, analyse l’état des mutations que les activités de création ont pu connaître ces trente dernières années et émet plusieurs  préconisations. 

EELV est favorable à ce qu’elles puissent être intégralement mises en œuvre au cours de la prochaine mandature, dont notamment la généralisation d’un contrat de commande pour la création d’œuvres reposant sur des modes d’incitation des institutions publiques comme des entreprises privées. En parallèle, les droits d’auteur définis par le CPI doivent être respectés par les commanditaires : droit moral, droit d’exposition, droit de reproduction et cession d’exploitation. 

Par ailleurs, plusieurs mesures doivent être instaurées telles qu’une simplification du statut social et fiscal des AA. Une meilleure distribution vers les AA et les AI des fonds dédiés à l’action culturelle des organismes de gestion collective (OGC) est nécessaire. L’instauration d’un fonds d’aide à la création en faveur des AA pourrait être abondé par deux taxes : respectivement, une taxe sur les produits dérivés des œuvres d’auteurs décédés sur la durée des 70 ans instituée par le CPI (Article L123-1), en incluant le branding (l’exploitation du nom de l’artiste pour développer des marques ou des produits), ainsi qu’une taxe sur les recettes des grandes expositions d’artistes du patrimoine·matrimoine. 

L’autre domaine de tensions est la place exponentielle des géants du numérique, des plateformes de streaming de musique et vidéo et des applications numériques dans la diffusion de la création. Aujourd’hui, 90 % d’artistes musiciens reçoivent moins de 1 000 euros par an, même si leurs titres sont « streamés » jusqu’à 100 000 fois. La généralisation des captations de spectacles vivants engendrée par la crise de la COVID 19 et leur diffusion gratuite ou payante soulève également la question de la rémunération. Dans ce contexte, la mise en place de solutions en faveur des artistes et de leurs équipes est indispensable, sous peine de voir la diversité de leurs productions progressivement disparaître, à la fois pour des raisons économiques via les phénomènes de concentration, mais aussi structurelles à l’instar des effets de bulles de recommandation que les algorithmes génèrent.

Pour contrer cela, EELV propose de réglementer le marché et de contrôler la concentration des entreprises, notamment le rachat par les plateformes des labels de musique, des studios de cinéma ou des sociétés de production.

Aujourd’hui, la répartition des droits d’auteur est faite selon un modèle “market centric”. Elle est proportionnelle aux parts de marché de l’auteur·trice écouté·e ou vu·e. Plusieurs autres pistes peuvent être explorées pour une redistribution plus équitable sur les plateformes de streaming, des banques d’images ou sites Internet : une rémunération par pallier et non plus par nombre de vues, une tarification “user centric” ou un système de redistribution linéaire entre le plus haut revenu et les plus petits. Un accompagnement, sur le même principe que les organes de presse, des services et plateformes équitables via des aides de l’Etat peut permettre une écoute ou un visionnage responsables, tout comme la création, à terme, d’un pôle public du streaming à l’image de Radio France pour la radio.

Enfin, les disparités salariales dans le secteur culturel subventionné, ou lorsqu’une structure privée bénéficie de crédits d’impôt, ne devraient pas s’élever au-delà d’un rapport de 1 à 8 entre le plus bas (smic mensuel brut) et le plus haut salaire de la structure, quel que soit sa taille et son rayonnement.

B. Vers de nouvelles articulations entre l’Etat et les collectivités territoriales pour un meilleur soutien à la création artistique

#Mots clés : Dialogue, COREPS, chambre régionale de la culture

Il convient de constater que si, sur le papier, les instances de coordination ou de dialogue entre l’Etat, les collectivités territoriales et les professionnels sont nombreuses (CTAP, Coreps…), elles sont rarement mises en œuvre et encore moins efficientes.

Nous proposons la création dans chaque région d’une Chambre Régionale de la Culture (CRC) qui regroupera l’ensemble des instances auparavant créées. Y seront représentés l’Etat – qui en assurera le secrétariat – les collectivités territoriales (régions, départements et représentants des agglomérations, communauté de communes et communes) et les organisations professionnelles de salariés, d’employeurs et d’auteurs. 

Les réunions mensuelles se feront à tour de rôle dans chacun des départements de la région (pour les régions métropolitaines) afin que les différents acteurs ne soient pas pénalisés par la distance. Les réunions seront accessibles en visioconférence.

Ces CRC auront pour rôle de favoriser le dialogue entre élu·e·s des différents échelons territoriaux et professionnels afin de mieux coordonner les politiques culturelles.


RÉFÉRENCES

Rapport Racine

Code de la propriété intellectuelle et artistique (CPI) / droits d’auteur

Rapport de la Cour des comptes sur les Organismes de gestion collective (OGC)

Streaming et algorithmes articles du Monde ici et .

Produits dérivés, branding et usages de la renommée des artistes (article)